Par delà les semences, la diversité des trajectoires des agricultures

Article paru dans la Revue Nouvelle de décembre 2012

Plantes transgéniques ou semences paysannes, le débat sur l’agriculture commence le plus souvent pas sa dimension technique. L’agriculture est vue comme une pratique à optimiser pour produire de la nourriture et, dans une logique strictement quantitative, l’objectif est d’augmenter la production globale de biens agricoles pour répondre à la question alimentaire. L’indicateur principal est la productivité, perçue implicitement comme la quantité de nourriture produite par hectare. C’est cette quête de la productivité qui justifie une approche libérale du marché des semences.

Nourrir l’humanité dans les limites de la planète

A l’aéroport de Bruxelles-National fleurissent les affiches signée de Syngenta, un des géants d’industrie agro-chimique : Grow more for less. La priorité est l’intensification et, dans une version plus récente, à l’intensification écologique définie comme l’articulation de deux dimensions : le maintien d’un niveau de production par hectare élevé et la réalisation de cet objectif « en harmonie et en symbiose avec l’environnement » (Bonny 2010). Même si cette approche se revendique systémique, elle cache deux éléments fondamentaux : la sécurité alimentaire de la planète n’est pas uniquement une question de production et les enjeux de l’agriculture dépassent les limites du champ pour déterminer nos paysages, nos modes de consommation et questionner la place qu’occupent les agriculteurs dans nos sociétés post-modernes. L’agriculture est là pour nourrir le monde et une partie de notre humanité souffre de la faim.

En fonction des prix du pétrole, le nombre de personnes qui souffrent de malnutrition dans le monde oscille entre 850 millions et un milliard de personnes alors que la production mondiale de nourriture est suffisante pour nourrir l’ensemble de l’humanité (FAO, WFP and IFAD. 2012). De plus, une majorité de ces personnes sont des agriculteurs. En fait, la question de la malnutrition est avant tout un problème de pauvreté et non de production. Sortir le dixième de l’humanité de la malnutrition implique de les sortir de la pauvreté. Cette pauvreté qui les fragilise notamment par rapport aux dérèglements climatiques et à la volatilité des marchés des produits agricoles. Dans ce contexte, augmenter la production agricole n’a de sens que si elle contribue à une diminution des inégalités et tempère les risques liés au climat. La question devient alors « assurer une production alimentaires suffisante avec qui et pour qui ? ». A cette question, un rapport international a répondu en 2009 (-Default- 2009) : l’agriculture paysanne est celle qui répond le mieux aux défis du millénaire : sécurité alimentaire, équilibre des genres, intégration des objectifs de productions et des limites environnementales.

Une nouvelle trajectoire pour les agricultures du monde

D’un point de vue technique, cette agriculture paysanne et familiale s’appuie sur une approche agroécologique dont l’objectif est l’application de l’écologie à l’étude, la conception et la gestion des systèmes agroalimentaires (Stassart et al. 2012). Une approche interdisciplinaire qui prend en compte l’ensemble du dispositif de la plante à la consommation en s’intéressant à la fois aux enjeux techniques mais aussi aux dimensions économique, sociale et à leur régulation. Plus de 400 personnes étaient réunies au Parlement européen le 13 novembre dernier pour explorer le potentiel de cette nouvelle vision de l’agriculture (The Potential of Agroecology: Reclaiming the Food Crisis – a Greens-efa Public Conference). Les principes de l’agroécologie rejoignent des pratiques comme l’agroforesterie, l’agriculture urbaine ou l’agriculture de conservation . Même si elle demande encore des investissements en recherche (Gaëtan Vanloqueren and Baret 2009), l’agroécologie commence à démontrer son potentiel. Inspirée de principes ancrés depuis longtemps dans les systèmes agricoles, elle les décline selon de nouvelles modalités prenant en compte les progrès techniques en terme de machines et gestion des données. Les expériences se multiplient à travers le monde (De Schutter and Vanloqueren 2011).

Il existerait donc une autre trajectoire pour les agricultures du monde qui aurait comme objectif premier non pas la productivité mais l’amélioration des systèmes agroalimentaires dans le respect des limites de la planète et du devenir des agriculteurs les plus pauvres. Ce modèle n’est-il pas un simple retour au passé, inefficace et insécurisant ? On pourrait le croise face à la mobilisation simpliste du concept de productivité qui contribue à une vision du monde monodimensionnelle et quantitative alors que les questions qui se posent sont multidimensionnelles et holistiques. Porter l’accent sur la seule production conduit aussi à concevoir l’agriculture comme une activité économiques comme les autres alors que par son impact sur la santé et l’environnement, l’activité agricole à une dimension publique.

 Une agriculture basée sur la biodiversité des espèces et des systèmes

Si on accepte ce changement de cadre, la question n’est pas tant de savoir si les plantes transgéniques présentent des risques mais bien celle de leur pertinence comme innovation (G Vanloqueren and Baret 2011) et le débat sur les semences paysannes ouvert dans la Revue nouvelle du mois de … monte en complexité. Quel est l’impact de la biodiversité sur l’agriculture ? Quelle est la contribution de la biodiversité à nos systèmes alimentaires ? Le modèle actuel d’agriculture axé sur le seul objectif d’augmentation des rendements a eu un effet négatif majeur sur la biodiversité tant au sein des systèmes agricoles eux-mêmes par la disparition des races et des variétés anciennes que sur la biodiversité sauvage par l’uniformisation des paysages et les impacts de la pollution.

Dans une approche agroécologique de l’agriculture, la diversité et singulièrement la diversité des semences est un élément clé de la résilience des petits systèmes agricoles. Une diversité qui correspond à une diversité de pratiques et de produits. Faire du fromage de qualité différenciée implique l’utilisation d’un lait aux propriétés différentes du lait standard tel que voulu par les grands groupes mondiaux qui dominent le secteur. Maintenir un système agraire dans les conditions d’incertitudes, implique de multiplier les espèces et les variétés pour à la fois résister aux épidémies qui touchent les plantes, répondre aux aléas du marché et obtenir une alimentation équilibrée. La diversité des plantes, des animaux, des paysages et des systèmes est une forme ancestrale d’assurance contre l’incertain. Plutôt que de se cabrer dans une posture de maitrise de l’incertitude en utilisant les armes de phytopharmacie, on compose avec l’ennemi, on cherche un équilibre à long terme sur base de réseaux d’espèces, les unes contrôlant les autres. L’organisation de l’espace y joue aussi sa part, les haies et les autres éléments du maillage écologique servant d’habitat aux espèces utiles au maintien des équilibres (Tscharntke et al. 2012). Ce type d’approche comme la lutte biologique demande des apprentissages et des innovations qui articulent savoirs exogènes et savoirs paysans. On entre alors dans une agriculture complexe organisant et construisant la diversité des savoirs pour nourrir une diversité de trajectoires qui répondent à des objectifs de productions de façon durable, équilibrée et locale.

 Une diversité de régulations pour une diversité d’agricultures

Cette diversité des trajectoires questionne aussi l’inscription des semences. Dans le modèle actuel, pour être inscrite au catalogue une semence doit obéir à trois attendus : Distinction – elle doit être différente des semences disponibles sur le marché, Homogénéité – constituée de plantes identiques, et Stabilité – la lignée conservant ses caractéristiques au fil du temps. L’objectif initial était de protéger le consommateur, en l’occurrence l’agriculteur, par un processus de certification. Cependant, prouver ces trois dimensions peut être très couteux pour de petites structures (plusieurs milliers d’euro par variétés). De plus, certains dispositifs agricoles sont basés sur des mélanges d’espèces, de variétés, de lignées différentes pour favoriser une dynamique d’adaptation ((Demeulenaere and Bonneuil 2010). Dans ces variété-populations, on renonce à la stabilité pour privilégier l’adaptabilité. Ce modèle est encore peu exploré par la recherche scientifique classique mais pourrait représenter une option intéressante en agriculture biologique notamment (Chable and Berthellot 2006). D’un point de vue technique, les besoins variétaux d’une agriculture industrielle basée sur la monoculture et d’une agriculture agroécologique où sont privilégiés mélanges et variétés-populations sont différents. Cela implique-t-il des cadres légaux différents ? Probablement. Une simple adaptation du cadre actuel construit pour le modèle productiviste du XXème siècle sera insuffisante sur le long terme. Le défi est de construire une agriculture nouvelle en développant en parallèle progrès technique et innovations organisationnelles.

 Bibliographie

-Default-. 2009. Agriculture at a Crossroads: The Global Report (v. 1) 1st Edition by Knowledge, Science, and Technology International Assessment Published by IAASTD Hardcover. IAASTD.

Chable, V., and J. F. Berthellot. 2006. “La Sélection Participative En France: Présentation Des Expériences En Cours Pour Les Agricultures Biologiques Et Paysannes.” Les Dossiers De l’Environnement De l’INRA 30: 129–38.

Demeulenaere, E., and C. Bonneuil. 2010. “Cultiver La Biodiversité. Semences Et Identité Paysanne.” Les Mondes Agricoles En Politique. De La Fin Des Paysans Au Retour De La Question Agricole: 73–92.

FAO, WFP and IFAD. 2012. The State of Food Insecurity in the World 2012. Economic Growth Is Necessary but Not Sufficient to Accelerate Reduction of Hunger and Malnutrition. Rome: FAO.

Stassart, P. M., P. Baret, J. C. Grégoire, T. Hance, M. Mormont, D. Reheul, G. Vanloqueren, and M. Visser. 2012. “L’agroécologie: Trajectoire Et Potentiel Pour Une Transition Vers Des Systèmes Alimentaires Durables.” Agroéocologie, Entre Pratiques Et Sciences Sociales.

The Potential of Agroecology: Reclaiming the Food Crisis – a Greens-efa Public Conference. http://greenmediabox.eu/archive/2012/11/09/agroecology/.

Tscharntke, Teja, Yann Clough, Thomas C. Wanger, Louise Jackson, Iris Motzke, Ivette Perfecto, John Vandermeer, and Anthony Whitbread. 2012. “Global Food Security, Biodiversity Conservation and the Future of Agricultural Intensification.” Biological Conservation 151 (1) (July): 53–59. doi:10.1016/j.biocon.2012.01.068.

Vanloqueren, G, and P. V Baret. 2011. “Des Laboratoires Aux Champs : Les Enjeux D’un Changement De Paradigme.” In Redéfinir La Prospérité. edité par Isabelle Cassiers. Editions de l’Aube. http://www.academia.edu/540425/Des_laboratoires_aux_champs_les_enjeux_dun_changement_de_paradigme._In_Cassiers_I._et_al._Redefinir_la_prosperite._Jalons_pour_un_debat_public._Editions_de_lAube_Paris_2011.

Vanloqueren, Gaëtan, and Philippe V. Baret. 2009. “How Agricultural Research Systems Shape a Technological Regime That Develops Genetic Engineering but Locks Out Agroecological Innovations.” Research Policy 38 (6) (July): 971–983. doi:10.1016/j.respol.2009.02.008.

 

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